Plusieurs passages de l’article La vie après Fidel de Christiane Vadnais, publié dans l’édition janvie 2009 de l’Impact Campus de l’université Laval, m’ont surpris par leur grossièreté (voir l’article intégral dans le bas de la page). Dans une perpétuelle bataille à la désinformation, il aurait été inconcevable de laisser passer sous silence une telle publication, voici donc ma réplique ci-bas. Je profite de l’occasion pour annoncer qu’une chronique à Dimension Cubaine sera aussi consacrée à la réfutation de cette article sur les ondes de Radio Centre-Ville 102.3 FM, ce jeudi 15H et toujours disponible sur le site http://www.radiocentreville.com/
Madame Vadnais,
Dès les premières lignes de votre article, une citation d’une certaine Sabrina Doyon, professeure au département d’anthropologie de l’université Laval, m’a particulièrement fait sourciller : «À la limite, Fidel est peut-être déjà mort». Puis-je savoir quelle branche de l’anthropologie permet à une personne d’émettre une telle hypothèse à l’endroit d’un homme physiquement affaibli par la maladie et la vieillesse, qui a choisi en toute modestie de ne pas s’exposer aux yeux du monde entier?
Depuis le 24 février 2008, date où Raul Castro a hérité du titre officiel de président de la république cubaine, les médias occidentaux ont enchéri leur discours du terme « changements », comme si la survie des idéaux socialistes de 12 millions de cubains dépendait de la famille Castro. Les riches cubano-américains de l’extrême droite à Miami qui espèrent un jour remettre la main sur leurs anciennes propriétés seront bien déçus!
En ce qui concerne la possibilité pour un cubain de posséder un téléphone portable et d’accéder à internet, il est faux d’affirmer qu’avant février 2008 cela était interdit. Aucune loi n’a jamais existé qui empêche un cubain d’acheter un ordinateur, ni quelque possession que ce soit. Les écoles, les hôpitaux et toutes les autres institutions publics sont priorisée lorsque vient le temps de distribuer du matériel aussi précieux et rare que des ordinateurs. Car effectivement il existe des pénuries de marchandise à Cuba et il est difficile pour un cubains d’obtenir certains articles de consommation, mais il serait hypocrite de prétendre que ces manques sont issus d’une volonté politique. Ces carences sont plutôt attribuables à l’embargo commercial et financier imposé par les États-Unis depuis 1962. L’accès à internet est rare, justement parce que les étasuniens refusent à Cuba l’utilisation de leur réseau de câble à fibres optiques sous-marin, obligeant les cubains à se tourner vers un accès via satellite qui est beaucoup plus dispendieux.
D’où vient donc cette manie de vouloir démoniser le communisme et la famille Castro? Pourquoi ne pas chercher à voir plus loin que ces dogmes ressassés et dépourvus d’argumentations que nous servent les médias traditionnels?
Vous atteignez dans votre article le comble de l’absurdité, en qualifiant de « grande influence sur l’île » le blocus économique étasunien imposé sur Cuba, tout en stipulant juste avant dans la même phrase que « les Etats-Unis n’ont probablement pas de plan pour déstabiliser le régime castriste ».
Sachez tout d’abord que l’embargo étasunien sur Cuba, dès son élaboration en 1960, a eu pour but premier de déstabiliser la nation. Dans cette affirmation, je ne me base pas sur les dires de la famille Castro, ni sur une quelconque propagande communiste, mais bien sur des faits réels et vérifiables. Dans un document du 6 avril 1960 (déclassé en 1991), soit un an avant l’invasion organisée par les États-Unis contre Cuba, Lester Dewitt Mallory, alors secrétaire d’État adjoint aux Affaires interaméricaines, écrivait dans un mémorandum discuté à une réunion dirigée par le président en personne : « Il n’existe pas d’opposition politique efficace à Cuba ; le seul moyen prévisible dont nous disposons donc aujourd’hui pour réduire le soutien interne à la Révolution, c’est le désenchantement et le découragement basés sur l’insatisfaction et les difficultés économiques. Il faut utiliser au plus tôt tous les moyens concevables pour miner la vie économique cubaine, refuser de l’argent et des livraisons au pays en vue de réduire les salaires réels et monétaires, ce qui provoquerait la faim, le désespoir de la population et le renversement du gouvernement. »
Sachez également que les dommages économiques de l’embargo étasunien infligé au peuple cubain ont été calculés à ce jour à plus de 89 milliards de dollars selon un rapport officiel des autorités cubaines aux Nations Unis. Cet embargo est maintenu à rebours de la volonté formelle de la communauté internationale, puisqu’une résolution des Nations Unis sur la nécessité de le lever a été votée à la quasi-unanimité en octobre 2007, et cela pour la 16ième année consécutive. Ramsey Clark, l’ex-secrétaire à la justice des États-Unis, pour ne citer qu’un des nombreux intellectuels et personnalités qui s’élèvent contre l’embargo, a déclaré : « Le gouvernement des États-Unis est seul, défiant la volonté des nations du monde, dans la mise en œuvre de ce crime contre l'humanité. Il agit dans l'intérêt d'une poignée de groupes économiques qui veulent s'approprier les richesses de Cuba et appauvrir le peuple cubain dont la révolution apporta la santé, les libéra de la misère et apporta aussi une éducation universelle partagée avec les pauvres de la planète. Cessez cette honte. »
La principale source à laquelle réfère les affirmations contenus dans votre article, notamment en matière de droits humains à Cuba, est nul autre que Reporters sans frontières, l’organisation en tête de peloton en termes de propagande anti-castriste. Un conseil chère Madame Vadnais, avant de statuer naïvement comme véridique une information, il serait plus adéquat d’en vérifier l’impartialité.
En ce qui concerne Reporters sans frontières et en l’occurrence son ancien secrétaire général Robert Ménard, ignorez-vous donc qu’il participe à une guerre de propagande destinée à briser l’image de la Révolution et à en nier les acquis? Ménard est arrivé au cours des années à s’ériger en référence universelle, avec comme noble but déclaré la défense de la liberté de la presse, alors qu’il est en fait une marionette des intérêts étasuniens grassement payé. L’associée de Ménard à Miami, Nancy Pérez Crespo avait d’ailleur développé un véritable réseau d’agences d’information cubaines dont la prétendue « indépendance » est garantie par les subventions millionnaires de la USAID (United States Agency for International Development) et de la NED (National Endowment for Democracy), organismes obéissant aux orientations de la CIA. Remarquez que je parle ici au passé puisque tout récemment Robert Ménard a abandonné son poste de secrétaire général alors que son organisation, Reporters sans frontières, se trouve sous la loupe du Government Accountability Office à Washington, pour être un des principaux bénéficiaires du Center for a Free Cuba impliqué dans une fraude gigantesque. Je ne me lancerai pas ici dans l’édifiante preuve qui saurait discréditer les dires de Reporters sans frontières, car un livre entier y serait nécessaire. Justement, un journaliste et auteur québécois ami de Cuba, Jean-Guy Allard, a su le faire à merveille avec son ouvrage intitulée « Pourquoi Reporters sans frontières s’acharne sur Cuba? », que j’invite toute personne intéressée à la vérité à consulter. En préface du livre, une éloquente citation de Wayne Smith, chef de la Section des intérêts nord-américains à la Havane de 1979 à 1982 : « La démocratie et les droits de l’homme ne nous intéressent que très peu. Nous utilisons simplement ces mots pour cacher nos véritables motifs. Si la démocratie et les droits de l’homme nous importaient, nos ennemis seraient l’Indonésie, la Turquie, le Pérou ou la Colombie par exemple. Parce que la situation à Cuba, comparée à celle de ces pays-là et de la plupart des pays du monde, est paradisiaque. »
Quelques chiffres pour appuyer cette affirmation, tirés du CIA World Factbook : À Cuba, le taux de mortalité infantile est comparable à celui du Canada, soit 5.93 décès par 1000 naissances (5.08/1000 au Canada). Le taux d’analphabétisme est de 0.2% à Cuba, contre 1% au Canada et aux Etats-Unis. À titre de comparaison, prenons la République Dominicaine qui fait partie des Caraïbes tout comme Cuba et qui compte 9,5 millions d’habitants. Le taux de mortalité infantile y est de 26.9 décès par 1000 naissances, soit 5 fois plus que Cuba et le taux d’analphabétisme est de 13%.
Sur ce, au lieu de spéculer sur la mort de Fidel et sur les changements que sa disparition ou celle de son frère pourrait entraîner à Cuba, je vous invite à enlever vos œillères et à admettre la réalité des acquis de la Révolution cubaine, qui font de ce pays une démonstration indéniable des vertus du socialisme et un exemple pour les autres pays qui refusent de se plier au dicta de l’impérialisme.
Karine Walsh
Association Québécoise des amiEs de Cuba
Montréal, le 2 février 2009
Le grand artisan de la révolution qui a détrôné Fulgencio Batista le 1er janvier 1959 n’est pas apparu en public depuis juillet 2006, date à laquelle il a subi une opération aux intestins. En convalescence depuis ce temps, il continue d’intervenir dans la vie publique grâce à des chroniques dans le Granma, le journal du Parti communiste. La dernière remonte au 16 décembre dernier. «À la limite, Fidel est peut-être déjà mort», avance Sabrina Doyon, professeure au Département d’anthropologie de l’Université Laval. Les images les plus récentes du Comandante datent du mois de novembre, au moment de sa rencontre avec le président russe Dmitri Medvedev et son homologue chinois Hu Jintao.
Néanmoins, ce ne serait pas la première fois que l’on croirait à la fin de l’irréductible socialiste, aujourd’hui âgé de 82 ans.
Castro ou CastroEn février 2008, le mythique dictateur caribéen a confié les rênes de l’État à son frère Raúl, qui a poursuivi son œuvre dans une continuité relative. «Raúl et Fidel partagent les mêmes idéologies, explique Sabrina Doyon. Certains disent que Raúl est plus ouvert; il a voulu réintégrer certains cercles diplomatiques. Mais des changements fondamentaux, il n’y en a pas tant que ça depuis qu’il est au pouvoir.»
Aussi Raúl Castro s’est-il contenté de permettre aux Cubains de posséder des cellulaires et d’avoir accès à Internet, ce que peu d’entre eux peuvent se permettre. «À l’extérieur de La Havane, où les gens ont plus de moyens, les cellulaires ne changeraient rien au quotidien.» Les communications restent surveillées partout dans l’île, les appels étant sur écoute et les courriels, passés au peigne fin. Dans son Rapport annuel 2008, Reporters sans frontières remarque que «la situation des droits de l’homme n’a connu aucun progrès en un an et demi de présidence intérimaire de Raúl Castro.»
Néanmoins, c’est la situation économique qui reste la préoccupation la plus immédiate pour la majorité de la population cubaine, fait remarquer Sabrina Doyon. «Les gens sont d’abord préoccupés par ce qu’ils vont manger demain […] Les trois ouragans qui ont secoué l’île à l’automne ont affecté les agriculteurs, et des producteurs de tabac qui vendent leurs cigares en dollars américains», souligne-t-elle. Plusieurs d’entre eux ont vu leur maison détruite par les récentes catastrophes naturelles. «Le gouvernement donne les matériaux pour reconstruire les maisons perdues, mais actuellement, il y a trop de demande. Il y a du rationnement au niveau de l’électricité. Raúl Castro a annoncé des restrictions budgétaires importantes pour les prochaines années.»
L’effacement de Fidel au profit de son frère semble somme toute faire peu de remous. Pour Jonathan Paquin, professeur au Département de science politique de l’Université Laval, ce n’est d’ailleurs pas tant la mort de Fidel Castro qui pourrait amener un changement à Cuba que la disparition de la vieille garde révolutionnaire. «Les choses vont commencer à changer quand Raúl va décéder. Tant qu’il y aura un Castro à La Havane, les choses resteront au beau fixe», estime-t-il.
Qui veut la peau du régime?Néanmoins, plusieurs surveillent un éventuel ébranlement du régime castriste, auquel cas, «tous les scénarios sont possibles, lance Sabrina Doyon. Les Cubains de Miami ont un œil sur leurs anciennes propriétés. Ils avaient des terres qui vaudraient beaucoup d’argent dans un système capitaliste». D’un autre côté, la gauche latine, qui prend Cuba pour modèle, pourrait vouloir la garder de son côté. «On ne sait pas à quel point Hugo Chávez a des vues pour la suite.»
Fait à noter, l’île connue pour ses plages de sable fin pourrait développer un nouveau secteur économique : l’or noir. Cuba recensant des puits de pétrole, elle pourrait attiser les convoitises, selon Mme Doyon. Alors qu’en 2005, elle produisait 72 000 barils par jour, de récentes estimations parlent de 2 milliards de barils en réserve, ce qui permettrait, d’ici 2015, d’en produire 700 000 supplémentaires chaque jour.
Obama et Cuba Même si les États-Unis n’ont probablement pas de plan pour déstabiliser le régime castriste, reste qu’ils ont une grande influence sur l’île, ne serait-ce qu’en raison du blocus économique qu’ils lui imposent depuis 1962.
Lors d’un débat de la course à l’investiture démocrate, en août 2007, Barack Obama s’était dit favorable à un allègement de cet embargo et s’était engagé à faciliter les visites des Cubains en exil à leur famille. De son côté, la prochaine secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a toujours été plus conservatrice, affirmant qu’elle ne dialoguerait pas avec Cuba tant qu’il n’y aurait pas de changement en faveur de la démocratie chez ses voisins du sud. L’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis ne devrait pourtant pas tellement changer les relations américano-cubaines. «Dans le meilleur des cas, si Barack Obama a du temps et de l’énergie à consacrer à un rapprochement diplomatique avec Cuba, Raúl va rester fermé», croit M. Paquin. Le président cubain continue de pointer les États-Unis comme un «ennemi». Dans le même sens, la professeure de science politique de l’Université Laval Anessa Kimball affirme que «pour Obama, ce qui est important, c’est la promotion de la démocratie. Mais sa priorité, ce sera la crise économique, ainsi qu’assurer une transition pacifique à la présidence.»
C’est d’ailleurs dans cette optique qu’elle considère la question de l’embargo : «Pour Obama, la question de l’embargo est difficile. Son électorat, ce sont les ouvriers. Il a tendance à les protéger et à protéger le commerce. La levée ou l’allègement de l’embargo à Cuba pourrait ouvrir de nouveaux marchés pour les entreprises américaines, mais aussi faire entrer les biens cubains dans le marché intérieur. Qu’est-ce qui est le mieux pour les États-Unis en période de crise économique?»
Le choix d’Hillary Clinton comme chef de la diplomatie américaine pourrait-elle durcir les positions plus souples de Barack Obama? «Ce serait une possibilité. C’est une bonne question : Hillary suivra-t-elle Obama ou ses propres convictions? L’offre à Mme Clinton peut jouer dans les plans du président élu», concède Mme Kimball, n’écartant pas l’idée d’une potentielle démission de Mme Clinton, qui «n’a peut-être pas les mains assez délicates pour la diplomatie». Mais M. Paquin est catégorique : «Le président, c’est Barack Obama, c’est son opinion qui importe.»